Antonio Díaz-Florián
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BIOGRAFÍAMONTAJES PIEZAS ARTÍCULOS
 
     
 

2007 - El bufón trágico andino y su tocayo europeo - A. Díaz-Florián.
2004 - El Corral de Comedias en compañía del Caballero de Olmedo - A. Díaz-Florián.
2004 - La Cartoucherie: une aventure théâtrale - Joël Cramesnil. (extractos del libro en francés)
2000 - Teatro Latinoamericano: Entrevista Díaz-Florián - Osvaldo Obregón.
1991 - Tamerlan: The beauty of the Resistible Tyrant. - Brian Singleton.

 

LA CARTOUCHERIE
Une aventure théâtrale

Joël Cramesnil.
Les Éditions de l'Amandier/Théâtre - 2004

 

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1966-68
1969-70
1971
1971-72
1973
1974-76
1977-80
1980-85

1985-94

1974 / 76

L'Atelier de l'Epee de Bois mene
un travail de recherche experimental.

Le 24 janvier 1974, l'Atelier de l'Epée de Bois se constitue officiellement en association loi 1901 ayant pour but "recherches et animations théâtrales". Depuis sa création en 1966, la troupe tente de définir le théâtre comme un mode de vie où les membres de la création théâtrale ne doivent plus pratiquer un métier, mais insérer leur vie dans la totalité de leur pratique artistique. A ce titre, le spectacle que l'Atelier de l'Epée de Bois crée en 1974 est donc l'aboutissement d'une recherche, marquée par des étapes progressives et s'articulant sur deux axes : un travail sur le thème de la confusion vécue par chaque membre du groupe dans sa relation à la société, puis une lecture des textes de l'écrivain Eduardo Manet afin de préciser les premiers éléments de travail. En outre, les impératifs liés à l'aménagement du bâtiment, le recours aux matériaux de récupération pour la construction des décors et l'absence de moyens pour l'acquisition de costumes influent directement sur l'élaboration de cette nouvelle création : "L'apport créatif quotidien des comédiens et du metteur en scène s'est conjugué avec les nécessités économiques et le bénéfice du hasard pour permettre à cette expérience d'évoluer jusqu'à son achèvement"3I7. Intitulé Locos, ce qui en espagnol signifie « fous », ce spectacle développe le caractère étrange d'un univers oppressif où trois personnages, déchirés par la folie et la violence, vivent de façon recluse. Cette situation particulière est perturbée par l'irruption d'un personnage extérieur à cet univers, à travers lequel se focalise toute l'expression autodestructrice des trois autres protagonistes : ils le placent donc au centre de leur monde tout en étant conscients que leur unique issue est la mort. A travers cette création, l'Atelier de l'Epée de Bois souhaite traiter de la répression subie au quotidien par chacun de ses membres, mais à travers une forme théâtrale dont chacun des interprètes sait à quel point elle est marginale. Le dispositif scénique de Locos est fait d'un immense bac de 75 m2 et d'un mètre de profondeur autour duquel les spectateurs sont invités à s'asseoir. Cette fosse est remplie d'un mélange de sciure et de sable, cinq sortes de plates-formes évoquant des ruines de guerre sont réparties aux quatre coins et au centre. L'action débute dans le noir total tandis que résonnent des bruits de pas affirmés. Une lueur bleutée apparaît par une lucarne du plafond d'où tombe une échelle de cordes par laquelle un homme descend avant de s'enfoncer dans le centre de la fosse. Plongé dans la pénombre par des éclairages en demi teinte ponctués d'effets d'éclairs, le public découvre un monde où il ne subsiste plus que violence, souffrance et folie. Ainsi, deux hommes et une femme tous trois vêtus de haillons, errent, gémissent, hurlent et s'agressent mutuellement. Leurs mouvements, d'une grande retenue, dégagent une puissante force d'évocation théâtrale et, durant l’une de ces scènes, le personnage féminin se fait arracher son bébé par les deux hommes qui le dévorent en ricanant comme des bêtes. Partagés entre la peur de la vie et celle de la mort, les trois personnages n'ont jamais recours à un langage intelligible et semblent être les derniers survivants d'une civilisation détruite: "Ils sculptent des mots dans un paysage qui s'effrite, des mots que l'on ne comprend pas, c'est la destruction du langage, du processus logique de la communication. Semblables à des taupes qui auraient autrefois connu la lumière, leur souffrance et leur terreur, leur violence exacerbée, restent leur seul mayen d'expression, leur seule nécessité" Mlt. L'homme, qui est descendu du toit, est attaché, supplié, adoré puis renié par les trois personnages qui tentent ensuite de s'enfuir par l'échelle, alors que des coups de feu sont tirés par la lucarne. Les trois corps restent suspendus en se balançant dans le vide, puis le personnage venu de l'extérieur se détache, monte par l'échelle en les piétinant et disparaît par la lucarne. La scène est alors de nouveau plongée dans le noir tandis que le bruit de pas affirmés résonne dans toute la salle comme à l'ouverture du spectacle. Créé le 23 avril 1974, Locos est joué jusqu'au 22 juin, mais l'exploitation de ce spectacle est assez difficile car le public n'est pas nombreux: "La cruauté d’Artaud est démultipliée à l'infini jusqu'à l'absurde. Cela existe, voilà tout. Mais il faut le dire. Et le voir, si l'on n'a pas peur des expériences et le coeur bien accroché" J19. L'Atelier de l'Epée de Bois est effectivement un groupe qui s'efforce de réaliser un travail théâtral expérimental dont l'esprit a pu se dessiner depuis la création de Martyrs.

En 1975, la troupe compte huit membres actifs qui participent bénévolement aux différents tâches de création et qui espèrent à l'avenir pouvoir vivre de leur travail. Dans le même temps, certains comédiens diversifient leurs activités et créent deux spectacles au Théâtre pour Enfants du Parc Floral : Dulcinée de mars à mai, puis Le Voyage au pays de Gaspard de novembre à décembre. En février 1975, l'Atelier de l'Epée de Bois réalise également un long métrage (16 mm noir et blanc) intitulé Etat des lieux Nekros dont le tournage se fait en Normandie et occasionne une animation à Lillebonne. Enfin, la troupe qui tient à ouvrir son lieu à d'autres compagnies, accueille le Théâtre Go d'octobre à novembre 1974 avec Le Pouvoir se conserve dans la fraîcheur des tombes, puis le Théâtre Éventuel de décembre 1974 à janvier 1975 avec Le Chevalier à la Charrette: "Nous serions heureux que vous puissiez voir ce travail. Si leur conception du théâtre est différente de la nôtre, voire à l'extrême contradictoire, nous nous sentons cependant liés dans cette aventure théâtrale qu'ils partagent, ainsi nous les accueillons dans nos locaux de la Cartoucherie" 12(1. A cette époque, la composition de la troupe a déjà beaucoup changé par rapport à ses débuts, mais chaque création est toujours séparée par une longue période de recherche afin que le spectacle aboutisse parfaitement à la ligne définie en commun au sein de la troupe. L'Atelier de l'Epée de Bois préfère donc prendre son temps, plutôt que de céder aux logiques économiques traditionnelles de production théâtrale dont il est par ailleurs parfaitement exclu puisqu'il est tout juste en train de se faire connaître : "/r/, ce n'est pas seulement un lieu de répétition : c'est une maison, nous sommes chez nous. Nous sommes continuellement en train d'arranger quelque chose, de repeindre les extérieurs, pour faire en sorte que le théâtre soit toujours en état de marche". Au commencement de chacune des créations, la troupe choisit un thème en relation directe avec les motivations du groupe, et pour lequel les interprètes construisent des liens en travaillant ensemble à l'élaboration d'une forme théâtrale. Des petites scènes écrites ou choisies par Antonio Díaz-Florián varient au fur et à mesure qu'elles sont sélectionnées, élargies ou éliminées. L'acteur n'a pas de rôle préalablement attribué puisqu'il est invité à jouer en fonction de sa propre vie et de la façon dont il voit le monde. Enfin, les décisions liées au dispositif scénographique se prennent également de façon évolutive durant les répétitions : "Nous sommes des nomades sociaux, qui, pour pouvoir s'exprimer, doivent construire une baraque ensuite ; on n'achète jamais de préfabriqué, seulement de la matière brute. On fait des exercices de karaté et de kendo, exercices de base orientaux qui peuvent servir de discipline physique et spirituelle : tous les mouvements sont des éclats et pour exprimer un grand cri l'art martial est nécessaire" 322. L'année suivante, l'Atelier de l'Epée de Bois franchit un pas dans les réseaux de diffusion professionnelle, puisqu'il bénéficie d'une coproduction du Festival d'Automne. Intitulée Toro, la nouvelle création de l'Atelier de l'Epée de Bois n'use toujours pas d'un langage parlé intelligible et fait de nouveau l'objet d'une importante recherche scénographique. Cette fois encore, le dispositif a l'allure d'une fosse sur laquelle les spectateurs ont une vue plongeante. C'est un rectangle de 60 m2 dont les parois de cinq mètres de hauteur sont faites par des murailles de sacs, comparables à ceux dont on se sert pour consolider les tranchées en temps de guerre. A l'intérieur de ce grand volume, différentes murailles forment un dédale de lignes aux allures de camp militaire et les spectateurs, répartis sur le haut des deux largeurs, dominent cet enclos rectangulaire. Au centre se dresse une poutre brisée sur laquelle est posée une bougie allumée, au sol une immense flaque rouge. S'éclairant de torches, quatre personnages font leur entrée : trois d'entre eux, vêtus de guenilles en toile de jute, portent au dos un épais pilori de bois retenu par des cordes, tandis que le quatrième, qui semble être leur chef, en partie infirme, se déplace exclusivement avec des béquilles. Tous leurs échanges sont empreints de la violence typique des relations dominant/dominés et dans cette espèce d'arène à laquelle le titre du spectacle renvoie, les quatre personnages s'attaquent, se défendent, se volent, se commandent, obéissent, s'entraident, se révoltent et se torturent les uns les autres. Ils apparaissent comme les prisonniers d'un monde étouffant leurs cris et réduisant toute leur attention à des objets rappelant l'existence d'un ailleurs. Ainsi, un livre déchiré et des lettres dont les enveloppes portent les marques de l'aéropostale sont les supports de rites macabres où se mêlent tour à tour le feu, un coq, un crâne humain ou bien encore un bol de sang. A travers cette dénonciation des violences, qui évoquent à la fois les dictatures et les prisons, mais également le combat des hommes pour leur liberté, le public se retrouve profondément touché par des images qui en appellent plus à la sensibilité qu'au raisonnement ; "Toro ne montre pas une agonie mais les sursauts pathétiques, les déchirants effets de la survie. C'est à peine un spectacle malgré sa terrible beauté et malgré le contrôle des comédiens sur leurs actes. C'est la vision d'un danger mortel venu du passé et toujours présent í23. Le spectacle est créé à l'Atelier de l'Epée de Bois le 8 octobre 1975 où il est programmé dans le cadre du Festival d'Automne à Paris. Bien qu'il laisse bon nombre de spectateurs dans un très grand état de choc, certains lui trouvent de décevantes similitudes avec Akropolis que Jerzy Grotowski avait présenté en 1967 au Théâtre de l'Epée de Bois. Mais pour Antonio Díaz-Florián, ce spectacle est en fait l'expression quasi viscérale des préoccupations de la troupe: "C'est l'expression de notre désespoir, de notre révolte contre la société. (...) Les spectateurs sont des amis, invités à partager un moment de notre vie. Pour que la communion entre eux et nous se fasse, il ne faut pas qu'ils soient très nombreux. Nous avons limité les places à quatre-vingt-dix. (...) L'activité politique est l'activité supérieure, ce n'est pas avec le théâtre qu'on va changer quelque chose et ce que je souhaite, c'est que les membres de la troupe deviennent un jour révolutionnaires" 324. En 1976, l'Atelier de l'Epée de Bois maintient son identité de théâtre de recherche, mais opte pour l'espace vide et inclut pour la première fois le texte écrit sous la forme d'une narration interprétée par un des comédiens et à laquelle les deux autres donnent une forme scénique. Le point de départ de ce nouveau spectacle est une lecture du journal de Che Guevara dans lequel ce dernier annonce sa mort et l'échec de son entreprise révolutionnaire en Bolivie. Le déroulement chronologique débute par le jour de sa mort, pour progressivement revenir sur les différentes étapes de son combat : "Nous avons été confrontés à un sujet ambitieux, celui d'exprimer par des images le sentiment qui nous lie aux morts dans la lutte. Notre mémoire nous restitue cette violence et cet espoir qu'ils ont su donner au monde. (...) Dans un premier temps, le cri s'est installé en nous, mais au cours du travail, ce cri est devenu silence d'espoir. (...) Ce qui n'était à I'origine qu'un exercice nous a permis de réaliser essentiellement et sans doute pour la première fois un travail d'atelier. En ce sens, tout a été construit avec lenteur, sans se préoccuper du stade ultime de la représentation au public" 12\ Le texte définitif est écrit par Antonio Díaz-Florián. La grande salle de l’Atelier de l'Epée de Bois est utilisée dans le sens de la longueur, l'espace est pratiquement vide et les spectateurs sont installés sur des gradins en relation frontale par rapport à l’aire de jeu. A l'avant-scène, deux autels faits de pavés érodés sont disposés des deux côtés, un troisième, d'environ un mètre de hauteur, est installé au centre de l'espace. Au fond se trouve, côté jardin, un échafaudage soutenant à un mètre du sol un plateau sur lequel sont installés une table ainsi qu'une chaise et, côté cour, un échafaudage maintenant à deux mètres de hauteur une sorte de cage. Le sol est recouvert de cailloux blancs, de sable et de pierres calcinées, tandis que les murs sont maculés de traces d'écoulements. La représentation débute par l'entrée d'un personnage tenant sous le bras une radio diffusant de la musique et allant s'asseoir à la table. II fait alors à haute voix la lecture du texte de Che Guevara sur un ton d'une extrême froideur réduisant à l'état de paroles affables la charge du message révolutionnaire.

Durant toute cette lecture, un second personnage muet et immobile se tient debout dans la cage installée côté cour. Enfin, dans le même temps, une longue silhouette noire encapuchonnée et sans visage se déplace au ralenti dans le grand espace nu qui est plongé dans la pénombre. Ce troisième personnage s'exprime en quechua (langue de la cordillère des Andes) et symbolise ainsi les cris de révolte des paysans les plus pauvres de cette région que Che Guevara avait voulu soulever : "Le théâtre, c'est la contradiction entre ces trois présences, entre ces trois lectures. Le condamné là-haut qu’il faudrait arracher à sa cage. Le jeune homme saisi dans la lecture. Il a pénétré dans cet espace funéraire muni d'une mémoire autre pour lire ce qui est écrit par les mots, mais il va fuir ce qui est écrit par le piétinement. Car ils lisent l'écrit, mais ils ne lisent pas les cris" 126. Intitulé Yuro, ce spectacle est créé à l'Atelier de l'Epée de Bois le 15 septembre 1976. II est ensuite présenté au Festival de Palerme en 1976, puis au Festival de Nancy en 1977, année où ce retour du texte dans l'univers théâtral de l'Atelier de l'Epée de Bois va s'accentuer de façon progressive et déterminante. Enfin, du 3 au 27 mars 1976, l'Atelier de l'Epée de Bois accueille The Penny arcade peep show d'après William S. Burroughs par le Plan K, troupe de théâtre expérimental de Belgique.

 

 
     
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